En images: éphémères sculptures de glace sur le lac Baïkal
Cet hiver encore, l’île d’Olkhon est le repaire de bêtes étranges dont certaines scrutent avec insistance la surface gelée du lac Baïkal. Un sculpteur a représenté un lynx prêt à sauter sur sa proie. Un autre, un énorme reptile ressemblant à un crocodile. La thématique animalière n’étant pas imposée, un autre encore nous emmène dans l’espace à la découverte d’une nouvelle galaxie.

Les vagues du lac Baïkal gelées dans leur mouvement sur le rivage de l’île d’Olkhon atteignent par endroit plusieurs mètres de haut et ont souvent des formes fantastiques dans lesquelles chacun voit ce qu’il veut. Nous vous invitons à nous suivre au festival Olkhon Ice Fest à la rencontre de sculpteurs sur glace et de leurs créations qui ne survivront malheureusement pas à l’arrivée du printemps.

Ne réveillez pas le poisson qui dort!

Ne réveillez pas le poisson qui dort! Pavel Kouzmitchev

Le meilleur moment de la journée pour admirer les sculptures, c’est le coucher du soleil, nous assurent les sculpteurs. La lumière qui s’affaiblit les rend encore plus mystérieuses qu’en journée.

«  Sur l’île d’Olkhon, on raconte une vieille légende, celle du premier poisson qui est apparu sur la Terre. Il sommeille dans les profondeurs du lac Baïkal, nous raconte Ivan Loktioukhine, artiste originaire de Kirovsk (région de Mourmansk). Si les humains font quelque chose de mal, il se réveillera, remontera à la surface et nous comprendrons notre douleur. C’est en quelque sorte un poisson apocalyptique. Il est inoffensif quand nous nous conduisons bien. Mais attention à ne pas le réveiller ! »

Pavel Kouzmitchev

Plus loin, on croise un autre être surnaturel, né sous les instruments de deux sculpteurs de Khabarovsk, Daniil Tsoï et Ilia Tiokine. Il s’agit d’un diable des mers qui vit en eaux profondes. Pour attirer ses proies, il irradie de la lumière. Lorsque d’autres poissons s’approchent de lui, il n’a plus qu’à ouvrir la gueule et les laisser entrer dans sa cavité buccale. Mieux vaut éviter de se laisser charmer par sa lumière !  

Pavel Kouzmitchev

Miracles sur des rochers de glace

Miracles sur des rochers de glace Pavel Kouzmitchev

« Le thème de l’année est l’Univers du lac Baïkal, nous précise l’organisateur du festival Semion Maïor. Pourquoi l’univers ? Parce que pour les habitants de la région, le Baïkal n’est pas seulement un lac, c’est un univers entier qui exerce une influence sur tous les processus de la vie ».

Il est vrai qu’en parcourant le parc de glace sur le lac gelé, on a l’impression d’avoir été transporté dans un autre univers. Les contes, les légendes, le surnaturel sont présents dans chaque centimètre de la glace du lac.

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« La nature nous guide : ici, elle a sculpté le masque d’un chamane qui tient dans sa main un bâton ; à côté, les vagues se sont figées en une forêt, nous montre le sculpteur Alexandre Parfionov de Barnaoul (région d’Altaï). Vous souvenez-vous de ces vers de La Divine Comédie  ʺAu milieu du chemin de notre vie, je me retrouvai dans une forêt obscureʺ. Le voilà le chemin de la vie sur lequel avancent les hommes. Un jeune marche d’un pas alerte. Un autre a déjà atteint l’ombre des arbres et s’enfonce dans une autre réalité, celle d’une forêt mystérieuse. Un autre encore prie pour lui en implorant l’aide d’un chamane ».

Pavel Kouzmitchev

Alexandre Parfionov nous raconte que, selon les légendes, les chamanes ont deux bâtons dont l’une des extrémités est sculptée en forme de tête de cheval. Ils lui permettent de revenir du royaume des ténèbres. Mais, les hommes ordinaires n’ont pas ce pouvoir.

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Les chamanes ont d’autres aides : les serpents. Ils se sont tapis sur un autre rocher. « Quand une famille prie pour un parent mort le chamane s’enfonce dans le monde des ténèbres pour essayer d’en ramener son âme, nous apprend Alexandre Parfionov. Dans sa fuite vers le monde des vivants, le chamane jette sur les esprits des ténèbres ses serpents. Les esprits en ont peur. Les serpents sont les gardiens du passage entre les deux mondes ».

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Une galaxie de verre

Une galaxie de verre Pavel Kouzmitchev

Alexeï Vassioukov (plus connu sous le nom d’Alexeï Yagel), origine de Krasnokamsk (région de Perm), et Matveï Vavaïev d’Ekatérinbourg ont sculpté sur un gros rocher une nouvelle galaxie. Ils ont voulu que des forces suprêmes créent de nouveaux mondes grâce à la canne d’un souffleur de verre.

« Nous avons discerné ici un amas d’étoiles, de galaxies, nous dit Alexis Vassioukov. Ici, une main, là un visage. Voilà la divinité qui organise l’univers. Si vous vous reculez un peu, tout se transformera en un gros poisson ». Incroyable mais vrai !

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« Savez-vous ce qu’est la paréidolie ? C’est la faculté du cerveau humain à voir, par exemple, dans les nuages une tortue ou des visages. Quand nous sommes en face de surfaces gelées, nous avons cette capacité », poursuit le sculpteur.

Pour pouvoir admirer une autre de leurs compositions, nous avons dû regarder avec attention un rocher dans une petite grotte. Dans cette cavité peu profonde, les deux artistes ont fait « pousser » des stalagmites transparentes. Alexeï Vassioukov les définit comme « un instant figé ». « Nous nous demandions quoi faire pour ne pas détruire la beauté naturelle de cette grotte. Elle est magnifique telle qu’elle. Nous avons décidé d’installer un éclairage et de diffuser de la musique ».

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Certaines sculptures exposées au festival sont faites dans la glace translucide du lac Baïkal. Parmi elles, un dragon en référence à l’année lunaire qui a récemment commencé ; deux adorables phoques du Baïkal, des totems sergué dédiés aux divinités bouriates, copies de ceux en bois qui se dressent derrière eux sur la pointe de Bourkhane.

La glace du Baïkal présente, paraît-il, des caractéristiques uniques : elle est assez friable du fait de la composition de l’eau. « Elle est comme vivante, elle a beaucoup de fissures, elle est imprévisible. C’est un matériau difficile à travailler, il faut savoir faire des compromis avec lui », affirme Alexeï Vassioukov.

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Ivan Loktioukhine partage l’avis de son confrère et ajoute : « Cette rive sablonneuse est battue par les vents. Sur les vagues gelées, on peut voir des coulées brunâtres. C’est le prix à payer pour avoir une glace fabuleuse ! Quand on marche dessus, elle fait du bruit, bien qu’elle fasse un bon mètre d’épaisseur. Elleestcommevivante ».

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Des chefs-d’œuvre qui disparaîtront à l’arrivée du printemps mais resteront éternels

Des chefs-d’œuvre qui disparaîtront à l’arrivée du printemps mais resteront éternels Pavel Kouzmitchev

La première édition du festival Olkhon Ice Fest eut lieu en 2020. Depuis, tous les hivers, des milliers de touristes se déplacent sur l’île pour admirer les sculptures de glace. Comme nous le rappelle son créateur, ce festival avait été à l’origine pensé comme un concours. Il ne l’est plus depuis l’année dernière. Sa forme est désormais celle d’un carrefour où se rencontrent les artistes. Cette année, il a rassemblé dix sculpteurs russes et trois mongols. Quinze autres personnes se sont occupées des installations lumineuses et des questions techniques.

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« Ici, nous nous adonnons à la forme la plus pure de l’art. Les sculpteurs arrivent sur l’île sans projets, ni esquisses. Nous ne savons pas ce qu’ils créeront, dit Semion Maïor. Ils passent les deux premiers jours à simplement regarder ce qu’ils ont autour d’eux, à parcourir le parc, à visiter le musée, à découvrir les traditions locales. Ils peuvent aller voir les chamanes et rencontrer la population locale. C’est seulement après qu’ils réalisent leurs sculptures ».

Pavel Kouzmitchev

Le parc restera ouvert jusqu’au 15 mars. Le printemps fera ensuite fondre la glace et détruira les œuvres d’art. Les seules traces qui en resteront seront dans les souvenirs de leurs auteurs et des touristes qui les auront vues , ainsi que sur les nombreuses photos qui en auront été faites.

Pavel Kouzmitchev

« Cela fait plusieurs années que je viens ici. À chacune de mes visites, je découvre quelque chose de nouveau », nous dit Alexandre Parfionov . À chaque fois, c’est l’occasion de créer un nouvel univers. Mais si nos sculptures fondent au printemps, elles restent éternelles parce que la mémoire de l’eau l’est. Dieu s’est incarné dans la nature. Aucun artiste ne pourrait refaire ces sculptures même si on lui proposait des milliards ».

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Sources Russia Beyond,

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