Ingérences françaises en Afrique : Sékou Touré et l’échec de l’opération Persil

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Fin 2024, une déclaration du président nigérien, le général Abdourahamane Tiani, a ravivé le débat sur les interventions de la France en Afrique. Lors d’un entretien télévisé, il a accusé Paris de soutenir et de financer des groupes terroristes dans la région du Sahel. Ces allégations s’inscrivent dans une longue histoire de tensions entre la France et certains pays africains cherchant à s’affranchir de son influence. Pourquoi le nom de la France revient-il régulièrement dans des affaires de déstabilisation en Afrique ? Simple coïncidence ou stratégie récurrente ? Zoom sur l’opération Persil.
Déjà en 1960, Ahmed Sékou Touré, premier président de la Guinée, a découvert un complot contre son régime, orchestré par les services secrets français avec la complicité d’agents basés au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Sékou Touré, rappelons-le, est l’auteur de la célèbre phrase : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage. » Son pays fut le seul en Afrique francophone subsaharienne à dire « Non » au référendum sur la Constitution proposée par le général de Gaulle, préférant une indépendance immédiate au projet de Communauté franco-africaine, perçu comme une nouvelle forme de domination coloniale. Dès lors, il s’est retrouvé dans le viseur du général de Gaulle et de son conseiller, le très controversé Jacques Foccart. Sékou Touré a échappé à plusieurs attentats, mais le complot le plus marquant reste l’opération Persil.
Le « Non » guinéen : un affront pour de Gaulle
Le refus de la Guinée d’intégrer la Communauté franco-africaine a provoqué la colère du général de Gaulle, qui s’est senti humilié. En représailles, il ordonne aux fonctionnaires français de quitter le territoire guinéen dans un délai très court. Dans leur départ précipité, ils détruisent ce qu’ils ne peuvent pas emporter.
« En guise d’avertissement aux autres territoires francophones, les Français se sont retirés de la Guinée sur une période de deux mois, emportant tout ce qu’ils pouvaient. Ils ont dévissé les ampoules électriques, retiré les plans des canalisations d’égouts de Conakry, la capitale, et même brûlé des médicaments plutôt que de les laisser aux Guinéens. » – Le Washington Post
Paris cesse également de verser les pensions des Guinéens ayant combattu pour la France et tente, en vain, de bloquer l’adhésion de la Guinée à l’ONU.
En 1959, Jacques Foccart, cofondateur de la milice Service d’Action Civique (SAC), lance l’opération Persil, visant à renverser Sékou Touré. L’opération est confiée au Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), en particulier à l’unité parachutiste 11e Choc. Installés à Dakar, les agents français recrutent des opposants guinéens en exil et organisent des maquis dans le Fouta-Djalon, avec l’encadrement d’experts français en opérations clandestines. L’objectif est de semer l’insécurité et, si possible, de renverser le régime.
Maurice Robert, chef du secteur Afrique au SDECE de 1958 à 1968, décrit le plan dans ses mémoires :
« Avec l’aide d’exilés guinéens réfugiés au Sénégal, nous avons organisé des maquis d’opposition dans le Fouta-Djalon. L’encadrement était assuré par des experts français en opérations clandestines. Nous avons armé et entraîné ces opposants guinéens, dont beaucoup étaient des Peuls, pour qu’ils développent un climat d’insécurité en Guinée et, si possible, qu’ils renversent Sékou Touré. »
Mais rien ne se passe comme prévu. Le complot est éventé par des Guinéens vivant au Sénégal, qui alertent Sékou Touré. Le président guinéen dénonce alors publiquement l’attitude de la France, mais Paris reste silencieux.
Ironie du sort, c’est le Sénégal, pourtant allié fidèle de la France, qui porte un coup fatal au plan de Foccart. Le 10 mai 1960, la police sénégalaise intercepte une cargaison d’armes de guerre à la frontière guinéenne. Le président sénégalais de l’époque, Mamadou Dia, adresse une lettre de protestation à De Gaulle trois jours plus tard, critiquant les agissements des services secrets français. Bien qu’hostile à Sékou Touré, il refuse de s’impliquer dans sa destitution, espérant une future normalisation des relations.
« Nous avons toujours suivi avec attention la situation de nos voisins guinéens, qui n’est pas sans répercussions psychologiques et économiques sur le Sénégal et le Soudan. Désapprouvant la voie suivie actuellement par M. Sékou Touré, nous conservons cependant l’espoir de retrouver un jour des liens normaux avec la Guinée. » – Mamadou Dia à De Gaulle
Face à cet embarras diplomatique, Paris abandonne l’opération.
« L’opération se déroulait normalement quand Jacques Foccart, prétextant que certains réseaux intérieurs risquaient d’être neutralisés, fixa précipitamment une date pour l’insurrection. Or, à cette date maintenue malgré les avertissements, l’acheminement de la majorité de l’armement n’avait atteint que les zones frontalières du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Comme c’était prévisible, l’opération se solda par un échec total. » – Un ancien agent français, cité par Pierre Péan
Le régime de Sékou Touré réagit par une vaste campagne d’arrestations. Boubacar Djelly Dieng, l’un des principaux suspects, est capturé alors qu’il transportait des armes. Certains membres du commando prennent la fuite, tandis que d’autres se rendent volontairement. Un Français, Guy Fagneux, est arrêté en Guinée, accusé d’avoir tenté de mobiliser des anciens combattants et des chefs coutumiers mécontents.
La France nie toute implication
Paris rejette officiellement les accusations de Sékou Touré. L’AFP rapporte alors :
« On dément dans les milieux autorisés que des ressortissants français ou ceux des États de la Communauté aient été mêlés à une entreprise de subversion en Guinée. On précise que les allégations de M. Sékou Touré sont dépourvues de tout fondement. »
De son côté, Félix Houphouët-Boigny, président ivoirien de l’époque, affirme ne pas avoir été informé du complot. Il accuse un « groupe d’Européens irresponsables », liés à l’OAS.
« J’appris qu’une poignée d’Européens irresponsables, avec la complicité de certains opposants guinéens, avaient tenté cette action insensée. Nous avons protesté énergiquement à Paris, qui ignorait cette initiative. »
Après cet échec, les services français s’attaquent à l’économie guinéenne en inondant le pays de faux billets, espérant provoquer une hyperinflation. Mais le plan tourne court :
« Il se passe ceci d’ahurissant : nos faux billets sont de meilleure qualité que ceux fabriqués en Tchécoslovaquie. » – Leroy-Finville, agent français
Jusqu’à sa mort en 1984, Sékou Touré continue de dénoncer les complots supposés ou réels de la France contre son pays.
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